Peau de Mille Bêtes – Stéphane Fert

Peau de Milles Bêtes

Editions : Delcourt

ISBN : 978-2756091723

 
120 pages
 

Belle est vraiment très belle et tous les garçons du village la désirent. Rebutée par la perspective d’un mariage qu’elle n’aurait pas choisi, elle s’enfuit pour se réfugier au plus profond de la forêt. Là, le roi Lucane va la recueillir… puis l’aimer à la folie. Une petite fille va naître de cette union, Ronce, dont la destinée va être profondément bouleversée par la disparition de sa mère…


J’ai pris cet album parce que je suis tombée sous le charme du trait de Stéphane Fert, dont vous pouvez aller découvrir le trait sur son tumblr. La couverture m’a subjuguée, et en plus, elle est douce au toucher (ben quoi ?). J’étais partie pour prendre une autre réécriture du même conte dont le dessin m’emballait moins, et comme les réécritures de contes de fées, c’est l’une de mes grandes passions dans la vie, je ne pouvais pas décemment sortir les mains vides en ne faisant aucun choix, et c’est celle-ci qui l’a emporté dans ma folle discussion éclair avec moi-même.

Peau d’âne est certainement l’un des contes les plus glauques qui aient jamais été écrits*. Pour preuve, même Disney n’a pas réussi a l’édulcorer pour en faire une adaptation. Il faut dire que ce conte n’est pas inoffensif en ce qui concerne la remise en question du patriarcat. Ici, pas de mère ou belle-mère à accuser de tous les maux, c’est bien le père le personnage malfaisant et incestueux, et nul moyen de le rendre sympathique sans toucher à l’intrigue. D’ailleurs, enfant, j’avais un livre de contes de Perrault ayant appartenu à ma mère, une fois assez grande pour lire seule, j’ai compris pourquoi elle avait toujours refusé de me lire les histoires avec les belles images. Ce conte-ci est celui que je sautais toujours, et je ne faisais plus qu’admirer les belles robes sur les illustrations.

Peau de Mille Bêtes est une réécriture du conte Peau d’Âne, avec des incursions de la version allemande Allerleirauh, et des éléments tirés d’autres contes comme le Roi Corbin ou la Belle et la Bête. La couverture est, par ailleurs, un très bel hommage au film Peau d’Âne de Jacques Demy.

La reine se meurt, le roi ne souhaite épouser en secondes noces qu’une femme qui serait au moins aussi belle que son épouse désormais décédée. Pas de bol, la seule qui lui arrive à la cheville, c’est sa fille. Qui ne veut pas l’épouser et qui est amoureuse de quelqu’un d’autre de toutes façons. Malédiction !

L’auteur décide de ne pas faire dans la subtilité dans l’approche moderne, progressiste, et, oserais-je dire, féministe ? du conte et même DES contes de manière générale, en critiquant de manière non voilée les critères posés par les rois et princes sur leurs prétendantes, afin d’ensuite cristalliser sur elles tous leurs désirs et fantasmes. Mais je part du principe que la subtilité n’est pas forcément utile partout. Rien ne vaut expliciter son propos immédiatement, plutôt que risquer des malentendus. Surtout dans ce contexte précis, où l’on aurait pu l’accuser de perpétuer le cliché de la jolie potiche.

Nous assistons à une espèce d’inversion des codes, avec un conte sombre, où l’on sait que le happy-end ne sera pas à base de « et ils se marièrent et vécurent heureux » (dans un lotissement, avec un garçon, une fille, un 4×4, un crédit sur 20 ans et un labrador, NDLR), ce qui serait bien un comble, étant donné que ce poncif, rendu désirable dans la vraie vie par notre société patriarcale et capitaliste est dénoncé également. Le roi est à la tête d’un royaume invisible, la fée marraine aime trop les chaudrons bloubloutants pour être réellement une fée, et puis, le baiser d’amour véritable qui, lui seul, peut délivrer d’une abominable malédiction, doit-il forcément être hétéro, voire même, cis ? Le couple est-il la seule planche de salut ? Que faire si les oiseaux ne nous coiffent pas le matin, mais font partie de ce que nous sommes ?

Malgré la noirceur ambiante, quelques touches d’humour bienvenues ponctuent la BD, afin d’alléger le propos et j’ai trouvé la conclusion qui concerne l’héroïne fort satisfaisante, parce que, justement, si éloignée du happy-end cliché, mais happy-end quand même.

Un album très beau, aux dessins magnifiques. Néanmoins, j’aurais aimé que le propos aille plus loin – spoiler : que le prince devienne carrément une princesse pour de bon, soyons fous !  -, mais on ne peut pas tout avoir, et y trouver moins de fautes d’orthographe. Toutefois, j’ai bien envie de lire Morgane du même auteur maintenant !

Note : *Toutes proportions gardées, bien entendu, n’oublions pas de la Belle au Bois Dormant se fait violer pendant son sommeil pour faire se réveiller par l’un de ses enfants qui finit par ôter l’aiguille fichée dans son doigt.

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